Notre Rencontre avec Toera, « De manière générale j’aime bousculer les codes… »

Notre Rencontre avec Toera, « De manière générale j’aime bousculer les codes… »

Kickeuse hors pair dans un univers sortant des sentiers battus, Toera est une pépite à suivre de près. Nous la découvrons à l’occasion de la finale du tremplin Buzzbooster 2025. Échange fluide autour de ses influences et de son univers intriguant.

Comment prends-tu goût au rap ?

Je ne saurais pas vraiment dire quand ma passion pour la musique a commencé. Je crois que je l’ai toujours eue… Aussi loin que je me souvienne j’ai toujours chanté. À 3 ans j’ai découvert l’album « Le Fil » de Camille, je l’aimais tellement que ma sœur a fini par me donner le CD ainsi que son walkman. Je l’écoutais tous les jours, parfois en boucle, et je chantais faux sans m’en rendre compte car je n’entendais pas ma voix avec le casque sur les oreilles. Mais je chantais avec mes tripes et c’était la meilleure chose au monde, je ne voulais rien faire d’autre. J’ai aussi pris des cours de piano de mes 7 à 14 ans. Aujourd’hui je n’en fais plus…

J’ai commencé à chanter dans ma chambre en secret. C’est avec la chorale du collège que j’ai commencé à m’assumer davantage devant les gens. De mes 13 ans à mes 18 ans, j’ai fait beaucoup de jams sessions dans Lyon avec mon frère qui m’accompagnait à la guitare : on jouait des morceaux qu’il avait écrits et composés lui-même, mais aussi, et surtout, beaucoup de reprises (Amy Winehouse, Eva Cassidy, Camille…).
Mais c’est au deuxième confinement, en 2020, que j’ai découvert ma passion pour le rap. Mon frère qui venait de commencer à écrire ses premiers textes de rap, organisait des sessions freestyle chez lui chaque samedi. Plus les semaines passaient et plus il y avait du monde à l’appart. J’ai fait mes premières connexions avec des rappeurs de Lyon à ce moment-là. Étant très portée sur les reprises, et ayant envie d’apprendre à rapper, j’apprenais par cœur des textes de Fixpen Sill, Alpha Wann, Népal, etc… Et je rappais leurs textes. Les gars m’ont poussée à écrire mes propres textes et c’est allé très vite. J’ai commencé à écrire tous les jours et mon niveau a très vite évolué. Dès la réouverture des lieux culturels je faisais tous les open mics possibles de Lyon.

Credits photos : Nac

« J’ai commencé à chanter dans ma chambre en secret ».

Quelles sont ces artistes qui t’ont influencé d’abord pour faire du rap et ensuite pour créer ton univers atypique ?

Parmi les premiers artistes rappeurs qui m’ont donné envie de m’y mettre, il y avait Népal (pour le côté introspectif) Damso (pour son franc-parler et sa vulgarité assumée), Alpha Wann et Fixpen Sill (pour leur technique des placements et des rimes). Mais aujourd’hui je pense que je suis plus influencée par des rappeur.euse.s comme Ades The Planet, Luther, Léo SVR, Mairo…

Tu débarques avec un style différent mais séduisant, avec ce côté rebelle et assumée dans tes textes. Comment définirais-tu ton univers et qu’est-ce que tu veux apporter de différent ?

« Rebelle et séduisante » j’aime bien l’idée. Mon nombre fétiche c’est le 22, et il exprime pour moi une forme d’équilibre dans le paradoxe. C’est un nombre qui m’invite à rester entière et complète, en acceptant mes contradictions. J’ai autant envie de plaire que de déstabiliser. De manière générale j’aime bousculer les codes, mais j’ai au fond de moi un vrai besoin de validation. J’adore faire dans l‘egotrip mais j’ai beaucoup de facilité à montrer ma vulnérabilité. Ce nombre m’invite à dealer avec toutes les facettes de moi, à accepter ce que j’ai de plus féminin et aussi de plus masculin (selon ce que ces cases m’évoquent, car le genre n’est qu’une construction sociale).

Globalement je définirais mon univers comme sombre et trash. J’ai l’ambition d’apporter dans le rap quelque chose de punk et d’innovant, mais aussi de rassembleur. Je pense que ma musique a un pouvoir fédérateur, car ma communauté est aussi bien composée de fanatiques de rap que de gens qui n’ont pas l’habitude d’en écouter. Dans sa forme, mon rap est très codifié et peut parler à des amoureux du hip-hop, mais aussi à des queers, des fans de rock, métal, punk et des teufeurs, car c’est de là que je viens donc mes propos peuvent les toucher facilement.

 

« De manière générale j’aime bousculer les codes, mais j’ai au fond de moi un vrai besoin de validation »

Quel message cherches-tu à porter à tous ceux qui t’écoutent ?

 Je pense que le message qui me tient le plus à cœur de faire passer est celui-ci : « On est tous bizarres, même ceux qui font semblant d’être bien normies et propres sur eux ». Acceptons notre unicité, et aussi ce qu’on a de cassé en nous. Assumons nos travers, même les plus immoraux, c’est la première étape pour changer ce qui a besoin de l’être. Et en ce qui concerne nos « défauts » qui ne font de mal à personne, il s’agirait plutôt de les cultiver.

Credits photos : Nac

« J’ai l’ambition d’apporter dans le rap quelque chose de punk et d’innovant, mais aussi de rassembleur »

On peut dire que ta recette fonctionne : tu atteins la finale du Tremplin Rappeuz en 2024 avant de représenter en 2025 le département de l’Auvergne-Rhône-Alpes lors la finale nationale du Buzz Booster …. que tu remportes avec brio ! Comment as-tu vécu cette expérience avec Buzz Booster et qu’est-ce que tu en gardes ?

J’aime énormément la compétition. Et faire des tremplins c’est une façon pour moi de cultiver ça. Avant de faire Rappeuz j’ai fait aussi beaucoup de contests genre battle de skills (pas de clash) qui peuvent se dérouler en une soirée. J’ai toujours atteint la finale mais le stress a eu raison de moi à chaque fois, et je n’avais jamais gagné un concours avant le Buzz Booster. C’est un vrai accomplissement pour moi car en plus d’avoir ce sentiment victorieux et cette validation, j’ai maintenant un vrai budget pour la suite de mes projets, ainsi qu’une tournée déjà planifiée dans toute la France. C’est assez fou, mais j’ai l’impression de ne pas le mériter… Se valoriser en tant qu’artiste ce n’est pas évident dans le monde dans lequel on vit. Mais je vais me donner à fond pour arriver à me sentir légitime d’avoir eu droit à tout ça.

Aussi, c’est la première fois que je prends autant de plaisir à juste vivre l’expérience d’un contest. Je pense que ça m’a aidé à gagner, le fait de kiffer. Car je me suis beaucoup moins laissée envahir par le stress que dans les autres concours, et le plus important au final ce n’est pas de gagner, c’est de vivre à fond le truc. Bon et bah du coup j’ai eu les deux… 🙂

 

Credits photos : Nac

« C’est assez fou mais j’ai l’impression de ne pas le mériter… »

Nous avons été impressionnés par tes performances scéniques à l’Espace Julien de Marseille, notamment sur des titres comme « Félin » ou encore, « Lames & Sextoys » que tu dévoilais en exclusivité sur scène. Sur ce titre sorti le 22 juin, tu confirmes ton aisance technique avec des punchlines fougueuses portées par un discours féministe. Parle-nous de ce titre.

Ce dernier single, Lames & Sextoys, pour moi c’est mon meilleur son à ce jour. Je suis contente de ce que j’ai réussi à faire au niveau des prises de voix, et je sens une vraie évolution depuis mes derniers projets, notamment sur l’interprétation. Ce qui me fait kiffer aussi c’est d’avoir pu y intégrer des extraits de deux de mes films français préférés. On y trouve des dialogues du film « Orange Sanguine » de Jean-Christophe Meurisse (c’est trash et très gauchiste) et aussi de « Angel-A » de Luc Besson (mon film français préféré – c’est drôle, touchant, décalé, sombre et très poétique – tourné dans Paris avec un « Noir et Blanc » qui utilise le clair obscure de façon prodigieuse : je recommande à 100%).

Comment imagines-tu l’univers du clip de ce morceau ?

J’ai déjà une idée bien précise en tête pour le clip. Je vais confier la réalisation à ma copine Lola (ig : @lyt_eyes), photographe et vidéaste de talent qui partage mes valeurs féministes et qui veut volontiers m’accompagner dans un délire trash tout en gardant une touche d’humour… Je préfère ne pas en dire plus… On va tourner et faire la post prod cet été, pour envoyer le clip à la rentrée.

 

Credits photos : Nac

Lauréate il y a quelques jours de Buzz Booster 2025, comment envisages-tu maintenant la suite de ta carrière prometteuse ?

Step by step, un pied devant l’autre, on avance tranquille. Je n’ai pas envie de trop me projeter sur le long terme. J’ai conscience qu’il faut être patient dans ce milieu, et jusqu’à maintenant j’ai toujours fait les choses au feeling et ça m’a toujours portée chance. Et plus j’avance, plus l’évolution s’accélère. J’ai grave confiance en l’avenir. J’ai 2/3 projets en cours actuellement, je vais juste avancer comme bon me semble sur chacun d’entre eux, en fonction de l’inspiration, et on verra bien lequel sera prêt à sortir en premier. J’ai beaucoup axé mon travail sur le plan scénique ces six derniers mois et j’ai besoin de me focus à fond sur la création cet été.

 

Jude Badombena

Un féru de la finance, qui passe ses temps libres à gratter des articles et explorer le fameux trésor caché du digital...

Related post

Laissez une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *