
Himra, parcours d’un prodige qui défie les codes du rap ivoirien

Depuis quelques années, une nouvelle génération de rappeurs ivoiriens bouscule les codes du hip-hop francophone sur le continent africain. Himra est l’une des figures de cette nouvelle pousse. Avec un flow percutant, des punchlines lourdes et une identité artistique bien affirmée, il a su conquérir un large public en Côte d’Ivoire et au-delà des frontières. À seulement 26 ans, Chette incarne le renouveau du rap ivoirien, avec un registre constitué de drill, afro-trap et influences locales.
Mais avant d’atteindre les sommets, Bakayoko Abdul Rahim, de son vrai nom, a dû faire ses preuves. De ses débuts modestes au sein du groupe SBS, où il participe à des concours de rap, à sa décision de se lancer en solo, chaque étape de son parcours a été marquée par un travail acharné et une ambition sans faille. À travers ce portrait, la rédac revient sur le parcours exceptionnel de Himra, ses plus grands succès, les moments marquants de sa carrière et les défis qui l’attendent encore.
Débuts artistiques et formation musicale
Les racines musicales de Himra plongent dans l’adolescence, période durant laquelle il développe sa passion pour le rap en écoutant principalement des artistes britanniques, américains et français. La musique de La Fouine, va le pousser à franchir le pas et commencer à rapper. Cependant, c’est en s’immergeant dans les sonorités du sud des États-Unis, décrites comme « brutes, agressives et sombres », qu’il trouve sa véritable identité musicale.
Au début de son parcours, le jeune rappeur forme le groupe SBS avec des amis d’école, qui marque ses premiers pas sur la scène musicale. Cette période a été un tremplin significatif, notamment lors de leur participation à la 7e édition du concours Faya Flow. Bien que son groupe termine à la quatrième place, le jeune rookie tire son épingle du jeu, se fait remarquer et commence à poser les briques de son ascension dans le showbiz ivoirien.
Après quatre années passées au sein de SBS, Himra prend la décision « stratégique » de se lancer en solo. C’est à ce moment charnière qu’il développe son propre courant musical, baptisé Majin, et une tendance artistique appelée La Roserie. Cette transition marque non seulement son indépendance artistique, mais également sa volonté de se démarquer et de proposer une approche musicale totalement nouvelle.
Inspiré par des artistes comme DJ Arafat, Chette cherche à servir une musique qui frappe « comme un coup de poing », accessible et directe. Son choix de rapper entièrement en nouchi (l’argot de la jeunesse populaire d’Abidjan), devient sa signature. Il revendique un registre au travers duquel chaque titre doit être compréhensible du début à la fin, même par ceux qui n’ont pas fait d’études. Son rap s’avère donc un vecteur de communication universel et authentique. Entre 2018 et 2024, sa détermination est mise à l’épreuve : il traverse diverses épreuves qui le poussent dans ses retranchements, rejets, échecs de différents projets musicaux. Malgré les critiques et le scepticisme initial sur la viabilité de la drill en Côte d’Ivoire, Rahim persévère. Cela a payé puisque le natif de Cocody a réussi à construire patiemment son audience, et avec elle, sa crédibilité artistique.
L’objectif de Himra est clair, il veut transformer un style musical initialement considéré comme marginal en une force culturelle majeure, à l’image de l’œuvre de DJ Arafat avec le coupé-décalé.
Ascension et reconnaissance sur la scène musicale
Dans sa période de maturation, Himra a multiplié les collaborations stratégiques, tissé des liens avec des artistes ivoiriens reconnus comme Suspect 95, Widgunz et Mosty. Et dès que son univers artistique a trouvé écho auprès d’un public large, il a franchi les frontières nationales en collaborant avec des rappeurs français de renom tels que Gazo, Le Juiice et La Mano. Sa production musicale a été intense et calculée. En six ans, Himra a produit six mixtapes, une partie sous le label Universal, d’autres en autoproduction. C’est une générosité qui participe à construire son édifice. Les professionnels du milieu ont rapidement reconnu son talent. Le réalisateur de clips Bouba Atkins le décrit même comme un « vrai artiste », soulignant son perfectionnisme et sa vision créative. Contrairement aux artistes qui se contentent de valider un script, Himra est toujours impliqué dans chaque étape de la création, de la conception à la réalisation.
L’année 2024 marque un tournant décisif pour lui. Avec la sortie de son album « Jeune & Riche », Himra passe du statut d’artiste prometteur à celui de phénomène musical. Son succès est fulgurant, il enchaîne certifications, millions de streams, et crée une réelle connexion avec son audience.
Succès fulgurant de l’album « Jeune & Riche »
Le 4 octobre 2024, Himra vit un moment historique avec la sortie de « Jeune & Riche ». En quelques semaines à peine, l’opus explose littéralement sur les plateformes de streaming, et sur TikTok. Chaque titre de l’album porte l’empreinte du jeune rappeur. « Banger » impose immédiatement le ton, avec un son brut qui résonne dans les rues d’Abidjan. « Yorobo Drill Acte 3 » confirme le style singulier d’Himra, un cocktail musical explosif qui propulse l’artiste au-delà des frontières ivoiriennes.
Sa collaboration avec Liim’s sur « Lady Gaga » fait rapidement sensation. « Solo » et « Ganjaman » complètent cette collection qui rend fièrement hommage à l’essence de la rue, ses défis, ses espoirs et sa résilience. L’accueil du projet est unanime, l’album met en avant un storytelling musical puissant sur la jeunesse africaine contemporaine. Le projet fait mouche avec la qualité des productions, la profondeur des thèmes abordés et l’authenticité du propos. La consécration arrive rapidement : en décembre, « Jeune & Riche » est certifié disque d’or, puis en février 2025, l’album franchit un nouveau cap en devenant disque de platine. Un exploit rarissime qui fait d’Himra le premier rappeur ivoirien à obtenir une telle distinction : il rejoint ainsi le légendaire duo Yodé et Siro.
Rivalité avec Didi B : émulation ou confrontation ?
On ne saurait retracer la carrière de Himra sans évoquer sa rivalité électrique avec Didi B. Cette opposition de deux figures emblématiques incarnent deux générations et deux styles différents du rap ivoirien. Didi B, représente l’expérience et la tradition du hip hop ivoirien. Ancien membre du groupe Kiff No Beat, il a construit sa carrière sur une fusion unique entre le dirty south américain et le coupé-décalé ivoirien. En face, Himra incarne la nouvelle vague, un style » drill » hardcore qui parle directement à la rue avec une authenticité brute. L’ascension d’Himra s’appuie majoritairement sur cette rivalité, un clash qui s’est nourri de piques acérées de part et d’autre, mais aussi de diss tracks relayés régulièrement sur les réseaux sociaux. Les fans de chaque bord, ont joué le jeu et participé aux hostilités à leur manière.
En prenant de la hauteur, cette rivalité semble être un moteur créatif pour l’industrie musicale ivoirienne. Elle pousse chaque artiste à repousser ses limites, à innover et à produire des œuvres toujours plus percutantes. Les derniers singles solo des deux artistes en sont la preuve : “Holiday Season” de Didi B et le titre “Daddy” de Himra. ( ce dernier a apporté une touche inédite au clip de sa chanson en y intégrant des contenus générés par l’Intelligence Artificielle, une première dans le rap ivoirien.)
Himra et Didi B semblent néanmoins conscients des enjeux que peux avoir cette opposition qui peuvent tendre à dépasser le cadre musical. Ils comprennent que leur rivalité dépasse leurs personnes et engage toute une scène musicale, néanmoins ils ont réussi à faire du » rap ivoire » un phénomène culturel majeur, et c’est ça le plus important.
Distinctions et impact sur le rap ivoirien
Les African Talent Awards 2024 ont accentué la hype autour de la carrière d’Himra. Sur scène, l’artiste a été consacré de manière spectaculaire : il remporte trois distinctions majeures qui ont définitivement ancré son statut d’icône émergente du rap africain. Le prix du Meilleur Album Francophone pour « Jeune & Riche » couronnait non seulement son travail artistique, mais saluait aussi sa prédisposition à rapper les réalités de la jeunesse ivoirienne. Le titre de Meilleur Artiste Francophone était bien plus qu’une récompense : c’était la reconnaissance d’un parcours atypique, d’une trajectoire musicale qui a su bouleverser les codes établis du rap continental. Le Black Trophy, prix honorifique, symbolisait la dimension culturelle de son art, au-delà de la performance musicale. Mais la véritable consécration a été son concert historique au Parc des Expositions d’Abidjan. Près de 40 000 spectateurs étaient réunis pour un moment de communion entre un artiste et sa génération.
Les médias internationaux ont aujourd’hui pris pleinement la mesure du phénomène “1X”. Des sites comme Le Monde ont consacré des articles entiers à ce nouveau visage du rap africain. Booba, figure emblématique du rap français, a lui-même reconnu le talent et le potentiel d’Himra, un soutien qui a propulsé l’artiste sur la scène internationale. Cependant, Chette ne se projette pas comme un rappeur à vie. « Je ne vieillirai pas dans le rap », proclame-t-il. Celui qui ambitionne de devenir « plus effrayant que Booba, Kaaris ou 50 Cent », se voit, à 40 ans, producteur. Ainsi, il entend continuer à influencer la scène musicale ivoirienne d’une nouvelle manière. Il est le symbole d’une génération qui refuse les limites, qui établit ses propres règles et qui fait rayonner la culture ivoirienne bien au-delà des frontières. Avec son talent, son audace et sa détermination, il continue d’écrire une nouvelle page du rap africain.
